3. La loi républicaine
La crise économique atteint de plus en plus l'ensemble de notre
société. Des entreprises ferment et la précarité s'étend. Des actes de
violence barbares heureusement isolés, montrent l'extrême fragilité de
notre tissu social et le désarroi de nombreuses familles qui ont besoin
d'être soutenues et confortées dans leur mission éducative.
C'est dans ce contexte préoccupant que le gouvernement fait passer en
urgence des mutations profondes de notre législation qui pourraient
transformer radicalement les modalités des relations fondatrices de
notre société. Des changements de cette ampleur imposaient un large
débat national qui ne se contente pas d'enregistrer des sondages
aléatoires ou la pression ostentatoire de quelques lobbies. Nous aurions
été heureux, comme dans d'autres occasions, notamment pour les lois de
bioéthique, d'apporter notre contribution à ce débat. L'élection
présidentielle et les élections législatives ne constituent pas un
blanc-seing automatique, surtout pour des réformes qui touchent très
profondément les équilibres de notre société. Puisque ce débat n'a pas
encore été organisé, nous voulons du moins exprimer un certain nombre de
convictions et alerter nos concitoyens sur la gravité de l'enjeu.
Contrairement à ce que l'on nous présente, le projet législatif concernant le mariage n'est pas simplement une ouverture généreuse du mariage à de nouvelles catégories de concitoyens, c'est une transformation du mariage qui toucherait tout le monde. Ce ne serait pas le « mariage pour tous » (étrange formule qu'il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre !). Ce serait le mariage
de quelques-uns imposé à tous. Les conséquences qui en découlent pour
l'état civil en sont suffisamment éloquentes : a-t-on demandé aux
citoyens s'ils étaient d'accord pour ne plus être le père ou la mère de
leur enfant et ne devenir qu'un parent indifférencié : parent A ou
parent B ? La question fondamentale est celle du respect de la réalité
sexuée de l'existence humaine et de sa gestion par la société. Alors que
l'on prescrit la parité stricte dans de nombreux domaines de la vie
sociale, imposer, dans le mariage
et la famille où la parité est nécessaire et constitutive, une vision
de l'être humain sans reconnaître la différence sexuelle serait une
supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société et
instaurerait une discrimination entre les enfants.
Que pouvons-nous faire ? Face à ces mesures qui menacent notre
société, que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? Nous devons
d'abord inviter à prier puisqu'il s'agit de provoquer et soutenir la
liberté de conscience de chacun. Comme pasteurs
de notre Église, il nous incombe d'éclairer les consciences, de
dissiper les confusions, de formuler le plus clairement possible les
enjeux. Comme évêques, nous nous efforçons d'être des interlocuteurs
pour les responsables politiques et les parlementaires. Nous n'hésitons
pas à faire appel à leur liberté de conscience pour des projets et des
votes qui engagent plus qu'une simple alternance politique. Nous en
appelons à leur sens du bien commun qui ne se réduit pas à la somme des
intérêts particuliers.
Nous continuons d'appeler les chrétiens, et tous ceux qui partagent
notre analyse et nos questions, à saisir leurs élus en leur écrivant des
lettres personnelles, en les rencontrant et en leur exprimant leurs
convictions. Comme citoyens, ils peuvent, et peut-être doivent, utiliser
les moyens d'expression qui sont ceux d'une société démocratique, d'une
« démocratie participative », pour faire connaître et entendre leur
point de vue. Les sites de la conférence épiscopale et ceux de nos diocèses
présentent toutes sortes d'arguments qui sont finalement assez connus.
Une chose doit être claire : nous ne sommes pas dans une défense de je
ne sais quels privilèges confessionnels. Nous parlons pour ce que nous
estimons le bien de tous. C'est pourquoi nous ne mettons pas en avant la
question du sacrement de mariage qui est une vocation particulière, mais la fonction sociale du mariage qui ne dépend d'aucune religion.
Notre société est très sensible et vigilante sur le respect dû aux
enfants. Elle attend de ses responsables qu'ils prennent la défense des
plus faibles et qu'elle les protège. C'est pourquoi, dans cette période
il est important de rappeler un certain nombre de droits fondamentaux,
qui sont le fruit de la sagesse cumulée de notre civilisation et qui ont
marqué sa sortie progressive de la barbarie. Chacun des droits et des
impératifs éthiques qui en découle et que nous énonçons ici s'impose à
la conscience morale des hommes, quelle que soit leur croyance
religieuse ou leur incroyance. Aucune règle, et a fortiori aucune loi,
ne pourra jamais nous décharger de notre responsabilité personnelle et
des enjeux de notre liberté.
1/ Aucun être humain n'a le pouvoir de disposer de la vie de son
semblable, à quelque stade que ce soit de son développement ou de son
itinéraire et quels que soient les handicaps dont il peut être frappé ou
la détérioration de son état de santé. Chacun de nous est responsable
du respect de cet interdit absolu du meurtre et notre société doit
s'employer à éliminer les manquements à cette obligation. Dès lors que
le respect absolu de la vie humaine ne serait plus la règle défendue par
la société, les individus entreraient dans une dynamique de suspicion
et d'angoisse. Qui va décider si et jusqu'à quand je peux vivre, jusqu'à
quel seuil de handicap, quel seuil de douleur, quel seuil de gêne pour
les autres, quel coût pour la société ?
2/ Tout être humain conçu a le droit de vivre à quelque moment que ce
soit de son développement. Celui et celle qui l'ont appelé à la vie en
sont responsables et la société doit les soutenir et les aider dans
l'exercice de cette responsabilité. Le respect de l'embryon participe de
cette protection que la société doit aux plus faibles de ses membres.
Alors que les recherches sur les cellules souches adultes donnent déjà
lieu à des applications thérapeutiques et que le prix Nobel de médecine
vient d'être attribué au Professeur Yamanaka et au Professeur Gurdon
pour leurs travaux sur la reprogrammation des cellules différenciées en
cellules pluripotentes, certains voudraient autoriser plus largement
encore la recherche sur des cellules souches embryonnaires. De telles
recherches restent moralement inacceptables et économiquement
hasardeuses.
3/ Tout enfant venu au monde a droit à connaître ceux qui l'ont engendré et à être élevé par eux, conformément à la Convention Internationale relative aux droits de l'enfant
ratifiée par la France en 1990 (article 7 /1 : « L'enfant est
enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le
droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le
droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. »). Ce droit
impose de ne pas légaliser les procréations anonymes qui rendent cet
impératif impossible à tenir. Dans certaines situations exceptionnelles
des personnes peuvent, pour le bien de l'enfant, assumer généreusement
la responsabilité parentale. Elles ne peuvent jamais se substituer
totalement à l'homme et à la femme qui ont engendré l'enfant.
4/ Tout enfant a droit à être éduqué. Cette obligation repose d'abord
sur les parents qui sont les premiers responsables de l'éducation de
leurs enfants. La société doit les soutenir et les aider dans cette
mission, aussi bien par les aides financières, qui reconnaissent leur
apport pour un meilleur avenir de l'ensemble de notre société, que par
des aides pédagogiques qui sont souvent très nécessaires.
L'obligation de l'éducation repose ensuite sur l'institution scolaire
qui a la charge de transmettre les savoirs nécessaires à l'exercice de
la liberté personnelle, mais aussi le devoir de développer chez les
jeunes la reconnaissance et le développement d'un certain nombre de
qualités morales sur lesquelles reposent le consensus social et
l'apprentissage de relations respectueuses et pacifiques entre les
membres du corps social. Nommer le bien et le mal fait partie de cette
responsabilité collective.
5/ Les enfants ou les jeunes délinquants, quels que soient leur
statut juridique : français, étrangers, en situation régulière ou non,
ne doivent pas être traités par la seule incarcération. Dans une
démarche éducative, la punition peut être nécessaire. Elle doit toujours
avoir pour objectif la transformation positive de celui qui l'a
méritée. Elle ne doit pas éluder les responsabilités des adultes dans le
déclenchement, l'organisation ou l'exploitation de la délinquance :
réseaux organisés de mendicité, institution du trafic de drogues,
prostitution, pornographie publique, etc.
Pour terminer, je voudrais évoquer un droit qui concerne directement
l'exercice de notre religion et qui, à ce titre, fait partie des
éléments constitutifs de la laïcité, comme l'avait très bien compris et
institutionnalisé J. Ferry. Il s'agit du droit des enfants à recevoir
une formation chrétienne librement choisie par leur famille comme le
complément de leur formation scolaire. Il est trop clair que nous ne
sommes plus dans la même situation qu'à la fin du XIX° siècle. Mais
puisque le ministre de l'Éducation Nationale veut entreprendre un
réaménagement de l'ensemble du temps scolaire et qu'il souhaite le faire
dans une pratique de la concertation, il serait assez étrange que cette
concertation exclue la consultation de l'Église qui catéchise plus du
quart des enfants de France. À ce jour, nous suivons avec intérêt la
liste des organisations consultées. Nous attendons toujours de savoir
quand et comment nous le serons.
Pour nous, cette question est primordiale puisqu'elle touche plus
particulièrement les enfants dont les familles ont le moins de
possibilités concrètes d'organiser le temps libre de leurs enfants. Ce
sont ces enfants qui ont aussi souvent le plus de difficultés à trouver
les chemins d'une bonne insertion sociale. Ils n'y seront pas aidés si
le temps de la catéchèse
devient une sorte de créneau négligé dans l'organisation du temps
scolaire. Les enfants catholiques, comme ceux des autres religions, ont
le droit de disposer d'un temps convenable pour cette formation.
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